Présentation |
L'accroche
publicitaire les a, de par le monde, attirés :
" Les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit.
Mais tous ne sont pas du même avis sur ces droits et gagnent
peu à peu la Terre de raison
Là, tout y est
permis, sauf honorer son prochain ".
Dans
cet enfer de dérision, où hommes et femmes se déplacent
dorénavant pour un bol d'air crapuleux, s'entrecroisent les
destinées de Bill et de Shirley, injustement condamnés
à la peine de " Terre de raison ".
Ils
s'uniront sur place à d'autres " destins "
et un " plumaillon ", afin de combattre les
embûches de chaque instant qui, de Crazy City à Safety
City, leur feront rencontrer les loups les plus féroces de
la terre entière
Car c'était le prix de la
liberté.
|
Citation |
et
j'appris en cet endroit, assis à l'ombre des arbres sur ce
banc de chêne, ce qu'était la Terre de raison. Il s'agissait
d'une sorte de lieu mythique, créé par les nations
en l'absence de guerre sérieuse. Là, l'homme
au plus large sens du terme , animal intelligent s'il en est,
pouvait enfin exprimer dans cet "eldorado" toute sa haine
de l'autre races, religions et cultures, confondues. La plupart
savaient qu'ils ne reviendraient pas
mais qu'importe ! Une
multitude de gens rêvaient néanmoins de partir là-bas
si loin
Je
trouvai cela très étrange. L'homme était ainsi
fait d'ambiguïté et de déraison. Pourquoi, des
années durant, une telle information ne m'était pas
parvenue ?!
Je n'en savais rien, car certains événements
vous paraissent tant étrangers, voire chimériques,
que vous finissez même par en rejeter la quelconque existence
; et, un beau jour, vous vous réveillez, surpris par le cours
des événements ; et vous rouvrez enfin les yeux sur
un monde différent, sans même vous en être rendu
compte. |
Un
premier extrait début
du roman / pages 9-12 |
|
 |
I
New
York |
|
Je
venais de débarquer d'un jet supersonique. New York ! New
York, la bien aimée
Cette ville avait une odeur de
soufre
Mais elle avait toujours vingt ans d'avance sur toutes
les grandes métropoles, et faisait rêver. J'étais,
ici, dans Manhattan en ce jour de 2034
et je levais la tête.
C'est à ce genre de petit détail ridicule que l'on
reconnaît que vous êtes quelque peu étranger
à la ville. Mais bien peu y faisaient attention ! ;
tout le monde s'en moquait, et c'était bien ainsi ! Ce n'était
pourtant pas ma première visite dans ce pays. J'avais réussi
à apprendre quelques mots d'anglais, et je me sentais moins
isolé et beaucoup plus confiant que la première fois
où j'avais dû errer dans cette mégapole.
Au
coin d'une rue une inscription en haut d'un bâtiment attira
mon attention, écrite en français
de tels points
de repère étaient surprenants. Cette maxime n'avait
rien d'extraordinaire si ce n'était d'être fort connue
: "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droit". Que faisait là-haut cette affirmation, je
n'en savais rien
car aucun indice sur la façade ne
pouvait m'indiquer s'il s'agissait d'un monument. Le bâtiment
était informe, monolithique, presque austère. Sa seule
beauté en était cette phrase tirée de la "Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme".
J'allai
questionner un passant sur l'usage de ce building si peu conventionnel
lorsque, dans la vitrine d'une agence, une affiche capta mon attention.
Cette affiche publicitaire, rédigée en anglais, que
je réussissais à traduire, était la même
qu'au sommet du bâtiment mais avec une suite : "Les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droit. Mais tous
ne sont pas d'accord sur ces droits et gagnent la Terre de raison".
Je m'approchai de la vitrine. Dans un autre niveau de profondeur,
je lus une troisième accroche publicitaire : "Là,
tout y est permis, sauf honorer son prochain".
*
Je
poussai la porte de la boutique, machinalement. Dès mon entrée,
deux hommes firent volte-face et me dévisagèrent.
L'un était grand et costaud, l'autre plutôt petit et
maigrichon. En d'autres lieux, on aurait pu croire qu'ils postulaient
tous deux pour un remake de "Laurel et Hardy", mais en
fait ce n'était pas le cas. Ils venaient le plus simplement
du monde s'inscrire pour la Terre de raison. Après m'avoir
observé quelques instants, ils se retournèrent vers
l'employée et attendirent patiemment qu'elle eût fini
sa conversation téléphonique.
Je
l'aperçus assise à son monumental bureau. Elle disparaissait
presque derrière cette majestueuse pièce de mobilier.
Ce devait être une femme de taille très moyenne. Elle
portait une monture de lunettes rose indien. Fort maquillée
et vêtue d'un tailleur de couleur gris tendre. C'est à
peu près la seule tendresse que laissait transparaître
cette femme.
Elle
reposa enfin le combiné et s'informa des désiderata
de ces messieurs. Le premier, le gros, souleva timidement quelques
questions auxquelles elle répondit d'un air distant. Puis
vint la discussion qui portait sur la qualité du cercueil.
Elle étendit sur son bureau un dépliant publicitaire
et demanda d'un ton sec : "Choisissez ! "
L'homme
hésitait cependant. Elle le toisait, hochant la tête,
et finit par décider elle-même
" Celui-ci
est très confortable
Vous m'en direz des nouvelles
! "
et elle ajouta encore
" Avec le cercueil,
ça vous fait dix mille dollars ! Vous payez comment ? "
Et sans attendre la réponse... " On préfère
en cash ou en carte de crédit ! ".
Vint
ensuite le tour du second, le maigrichon, qui rêvait lui aussi
de partir vers la Terre de raison. Il allait choisir sa sépulture,
mais il était moins indécis. Son choix se porta sur
une sorte de mausolée en marbre, importé d'Italie.
Le prix en était astronomique, et je pensai déjà
que la surface financière de ce bonhomme devait être
plus importante que sa surface corporelle.
J'observai
cette femme qui m'interrogea soudain du regard. Je bredouillais
aussitôt dans un anglais hésitant " C'est à
propos de l'affiche
"
" Eh bien, oui ! "
dit-elle en me regardant droit dans les yeux
" C'est
la Terre de raison, vous n'en avez jamais entendu parler ?!
".
Non,
je n'en avais jamais entendu parler
Qu'est-ce donc ? Elle
me jeta un regard glacial, se pencha afin d'ouvrir un tiroir, saisit
à l'intérieur quelques brochures publicitaires et
les lança négligemment devant moi.
Lisez ceci !
Après quoi, vous reviendrez me voir, si vous en avez envie
!
Je ramassai les prospectus, la remerciai
et quittai l'agence.
Je me retrouvai dans la rue, me posant
encore plus de questions sur cette fameuse Terre de raison ?!
|
Un
second extrait pages
35-38 |
|
Son
mètre quatre-vingt-cinq était juché sur une
estrade. Ses épaisses moustaches, poivre et sel, et ses décorations,
lui donnaient fière allure. Il s'appelait Lassélife,
et son grade, ni plus ni moins que général. Il commandait
la Terre de raison et avait été nommé en ce
lieu, plénipotentiaire, par une assemblée d'États.
Au
fond de l'immense salle qui pouvait contenir deux mille personnes,
une frêle silhouette écoutait avec attention les propos
de l'officier supérieur. Devant une impressionnante carte
en relief, aux multiples couleurs, l'homme avait pris un micro et
fait un discours de bienvenue. Puis il s'était mis à
dicter les quelques règles, voire les commandements de la
Terre de raison. S'étant muni d'une longue règle de
bois, souple à souhait, qui allait et venait sur la carte,
il commentait le parcours d'une voix éloquente et posée
:
Crazy City
Nous sommes
ici !
La Flibuste, là
Symbolisée par ce quadrilatère rouge vermillon. C'est
le nom du camp où vous êtes pour ceux qui ne l'auraient
pas remarqué !
Shirley
était tout ouïe. Elle se tenait à proximité
d'un Noir, aux yeux de cendre, qui la dépassait d'une bonne
tête. Minuscule à ses côtés, elle se sentait
protégée, et nullement inquiète de ce regard
d'encre qui se portait de temps en temps sur elle, la lorgnant discrètement
des pieds à la tête. Elle n'était cependant
pas la seule femme dans les parages
D'autres créatures
se révélaient beaucoup plus jolies qu'elle, nettement
plus grandes, bien plus appropriées à ce lieu, en
réalité tout à fait femmes.
Safety City,
articula soudain la voix du général.
Son timbre dominait la foule, et tout le
monde écoutait dans un silence quasi religieux.
À
droite, un immense désert
À gauche, une forêt
inextricable
Entre les deux, une aire très diversifiée,
allant de la steppe à une zone accidentée semi-désertique.
|
Shirley
suivait avec une attention soutenue tout ce que débitait
le commentateur. Elle apercevait très nettement sur le plan
cette région. Le Noir, à la stature imposante, avait
entrepris un léger mouvement vers elle. Shirley ne s'en était
pas encore rendu compte, tant elle était absorbée
par la présentation du général
Tous les
chemins mènent à Safety City, avait repris, après
un court instant de silence, le militaire, ayant laissé à
l'assistance le temps nécessaire pour digérer ses
paroles
Tout dépend du moment, ajoutait-il
En
effet, vous voyez, ici, ce grand delta
Sur le tableau, l'endroit se mit tout à
coup à s'illuminer par transparence, et l'on voyait l'eau
scintiller sous l'effet de projecteurs miniaturisés. Dès
lors, apparut à tous, immensément vaste, l'embouchure
d'un fleuve.
Cinq kilomètres
de large, trente kilomètres de long
Et tout au bout,
le grand lac
Safety City est là. Il s'agit d'une ville
flottante qui va et vient dans l'estuaire du grand fleuve Zachrona.
Vous pourrez l'atteindre de plusieurs façons, en traversant
aussi bien la forêt dense que le sable chaud.
Shirley, pour la première fois, venait
de remarquer qu'une poignée de personnes dans l'assistance
portaient de petits écouteurs permettant de comprendre dans
leur propre langue les explications du général Lassélife.
Pour atteindre
Safety City, ville flottante, tous les chemins sont possibles et
sont permis, le tout sera d'arriver au bon moment, celui où
la ville approchera de l'un des nombreux embarcadères qui
jalonnent l'embouchure, tous les kilomètres environ. Sinon,
il faudra attendre son retour, selon les mêmes principes que
les mouvements des marées
Si vous arrivez à
Safety City, votre peine sera d'office accomplie. On vous remettra
votre passeport de réinsertion. Vous pourrez quitter la Terre
de raison si vous en avez envie, cela va de soi par
la navette aérienne qui vous conduira de Safety City à
l'aéroport international de l'île de Tasmoulo. Vous
pourrez prendre les jets en direction de vos pays respectifs. Vous
aurez aussi le droit de vivre et de mourir dans la Terre de raison,
si tel est votre bon plaisir. Vous pourrez, si vous le voulez, vous
enrôler dans l'une ou l'autre des armées.
Ce que l'officier passa sous silence, l'adaptation
à cette terre de mutation. Car sur cette Terre de raison
s'étaient réunis les loups les plus féroces
de la terre entière !
Shirley
ne comprenait pas toujours les propos du général Lassélife.
Elle se demandait pourquoi il fallait s'enrôler
au reste,
s'incorporer dans quoi ?!
Ce monde était si loin d'elle.
Elle avait été condamnée à une peine
injuste et, maintenant, attendait de porter sa croix sans avoir
à se poser de questions. Elle croisa le regard du Noir désormais
tout près d'elle. Nullement inquiète de trouver l'homme
à ses côtés, elle lui sourit. Puis elle osa
lui adresser la parole :
Vous comprenez
ce qu'il raconte ?
Il veut dire
tout simplement que vos jours sont comptés
Safety City
est une chimère qu'on n'atteindra que dans un autre monde
!
Vous croyez
?! répliqua-t-elle, le regardant dans les yeux.
Elle le trouvait rassurant par sa stature,
sa physionomie sereine, ses yeux étranges, ses dents d'une
blancheur de cygne. Lorsqu'il souriait, elle avait l'impression
de voir une coulée de neige.
Shirley se présenta :
Mon nom est
Shirley Huston. Je viens de Détroit aux USA, et vous ?
Bolomé.
Peu importe mon nom de famille. Vous ne pourriez le prononcer. Je
viens de Centrafrique.
|
Un
troisième extrait
(pages 79-82) |
|
L'un
des avions venait d'atterrir et roulait maintenant sur la piste
grillée par le soleil. Les aéroplanes étaient
au nombre de six et faisaient chaque jour la navette entre l'aéroport
international de l'île de Tasmoulo et la zone aéroportuaire
de la Terre de raison, basée dans la banlieue de Crazy City,
et baptisée Flightaway.
Cet après-midi, l'activité
de l'aéroport s'était accrue, car les vols allaient
se croiser, au départ et à l'arrivée. Nombre
de gens étaient excités, voire fébriles. Étrangement,
les plus inquiets semblaient ceux qui repartaient.
Dans
l'un des halls de l'aérogare, Florence consultait le tableau
d'affichage des différents vols. Elle était vêtue
d'une robe légère et blanche, dont l'encolure était
dégagée en arrondi sur le devant et soulignée
de festons. De larges bretelles, en broderie agrémentée
de volants, étaient croisées dans le dos. Un sac en
bandoulière, en toile écrue, s'harmonisait à
l'ensemble, ainsi que des boucles d'oreille. Lorsque fut connue
la porte de débarquement, la femme quitta son observatoire
et pressa le pas en direction de la porte vingt-deux.
Assise sur un siège de coton imprimé,
elle regardait fixement l'étroit couloir d'où surgiraient
sous peu les passagers. Déjà les autorités
s'apprêtaient à accomplir les formalités d'usage.
Quand apparurent les premières personnes, Florence s'agita.
Que faisait-elle ici ? Son métier, sans doute, mais peut-être
attendait-elle quelqu'un ?
Car elle dévisageait les
gens au fur et à mesure qu'ils passaient. Tous les voyageurs
étonnaient par leur extrême diversité, venant
en fait de tous les coins de la planète. Il y avait même
ici des caucasoïdes, des mongoloïdes, des australoïdes,
et des congoïdes. |
Terence
Morlington qui arrivait de New York, via l'aéroport international
de Tasmoulo, avait l'allure d'un paysan de la Wheat Belt. Il avait
en plus adopté le chapeau texan, car il se trouvait ainsi
une bien meilleure allure. Il avait fait la connaissance dans l'avion
de Hui Cheng-Chang. Ce dernier était originaire de Tokyo.
Mais il avait naguère fait de nombreux voyages à New
York pour la firme qu'il représentait. Au cours du vol, les
deux hommes avaient ainsi pu échanger quelques banalités
sur une ville qu'ils connaissaient fort bien l'un et l'autre. Ils
devaient probablement avoir un parcours similaire pour avoir choisi
de se rendre dans la Terre de raison ; mais ils n'en avaient pas
encore discuté.
Florence les dévisageait d'un il intéressé,
elle s'était donnée un temps limité pour son
enquête
il lui fallait d'emblée interroger les
bonnes personnes. Car elle était restée sur sa cuisante
défaite, l'autre soir, dans ce café à la sortie
de l'aéroport. Elle n'avait plus osé y remettre les
pieds, de peur d'être ridicule, ou de sentir sur elle le regard
des gens qui avaient assisté à la scène. Elle
était d'ailleurs persuadée que l'estaminet devait
être rempli de monde à ce moment-là. Aussi l'affront
devait-il encore flotter dans la pièce.
Elle observait maintenant d'autres personnes
mais qui lui parurent moins intéressantes que ces deux-là
qui se dirigeaient à présent vers elle.
Elle bondit tout à coup de son siège,
au moment où les deux hommes passaient à sa portée.
Et comme son enregistreur était toujours prêt dans
le sac qu'elle tenait en bandoulière, elle s'avança
vers eux et engagea aussitôt la conversation :
Je suis journaliste,
dit-elle
Pouvez-vous répondre à quelques questions
pour radio-intrigue ?
What ? dit
l'américain corpulent.
Comme l'autre ne répondait pas non
plus, elle se douta qu'ils ne parlaient pas français ; aussi
leur posa-t-elle la question en anglais. L'un eut un sourire aussi
large que l'était son chapeau texan, et l'autre aussi étiré
que la forme de ses yeux. C'était la première fois
de leur vie qu'ils étaient interviewés, et ils se
prêtèrent volontiers à ce jeu. Elle les fit
asseoir sur une banquette, et l'américain demanda même
où se trouvait la caméra. Elle leur répondit
que, seul, était important le son de leur voix. Ils en furent
quelque peu déçus.
Cette
fois, elle était sûre d'obtenir une très bonne
interview. Elle les interrogeait sur leurs motivations profondes
Pour quelles raisons ils s'étaient envolés vers la
Terre de raison ?
Qu'en espéraient-ils ?
|
Un
quatrième extrait
(pages 231-233) |
|
*
Une
légère brise secouait les arbres. En dépit
d'un flot de lumière l'aveuglant, Shirley entrouvrit les
yeux et ne vit que de la verdure autour d'elle. Ses jambes la démangeaient
; malgré une conscience restreinte, elle voulut se gratter
Mais ses mains, étrangement, avaient quelque difficulté
à suivre l'évolution de sa pensée
Soudain, un coup de feu claqua, dont
l'écho se répercuta au-dessus d'elle en un mouvement
si compliqué qu'elle en entendit encore quelques ricochets
plusieurs minutes après ; à moins qu'elle se fût
fabriquée ces derniers comme on fabrique son firmament d'étoiles
au bord du précipice de l'inconscience
Retentit une autre déflagration,
qui eut pour effet de sortir Shirley de son cocon
Tout ça
pour se voir en train de tirer sur ses avant-bras afin d'aller calmer
quelque démangeaison passagère de sa peau de satin
; mais ses muscles et ses articulations ne répondaient guère
comme elle aurait aimé qu'ils le fissent
Aussi réalisa-t-elle
enfin le tragique de sa situation ; et elle eut pour la première
fois réellement peur !
Car elle ne supportait pas la hauteur,
elle avait toujours eu le vertige. Et elle avait été,
à la cime des arbres, ficelée, sans autre forme de
procès, sur une frêle civière qui se balançait,
presque dans les nuages, au gré du souffle des dieux.
Elle releva la tête, faisant atrocement
souffrir ses vertèbres cervicales, dans un seul et unique
but : essayer d'entrevoir enfin ce qui la grattait ainsi.
Et ce qu'elle vit la résigna dès
lors à peu d'espoir. Une cohorte d'insectes se baladaient,
insouciants, sur ses jambes nues, se faufilaient dans son short
ou encore passaient par-dessus, pour se diriger vers une substance
gluante dont on avait barbouillé son ventre plat et sa poitrine
offerte. Et cette procession sans fin lui provoquait tant de picotements
légers qu'elle ne savait même pas si ça la chatouillait
ou ça la gratouillait. En tout cas, ça la démangeait
assurément
aussi de savoir ce qui s'était passé
|
Un vol éthéré se fit
entendre au-dessus d'elle. Puis quelque chose s'abattit sur son
corps. Comme il lui fallait faire tant d'efforts pour distinguer
quel pouvait encore être l'intrus, elle déclara pour
le moment forfait. Toutefois, elle avait la sensation qu'une bestiole
ou quelque chose du même acabit parcourait son corps, déambulant
sans aucun doute, n'hésitant pas même à marcher
ou à trotter, là où il n'aurait pas fallu qu'il
cheminât ! Mais quel était encore ce visiteur ?!
Elle reprit son forcing pour tenter de surprendre ce qui ne pouvait
être encore qu'un coquin de plus !
Mais le soleil l'aveuglait
tant, qu'elle était malgré tout obligée de
fermer les yeux. Elle força de nouveau afin d'arc-bouter
son thorax pour, après maintes douleurs, apercevoir Océo
qui lui fit un clin d'il. Il picorait tant que faire se peut
les insectes arrivant de partout. Aussi, en le voyant attelé
à une telle tâche, Shirley sourit-elle malgré
tout, en dépit de sa position peu enviable ; et ce rictus,
un tantinet déformé, s'étala sur son visage
tout entier, car, de son corsage, on avait fait un bâillon
!
C'est dégueulasse
! dit Océo
aussi dégueu que des escargots que
l'on n'a pas fait dégorger !
Elle ne savait pas encore que chez les
plumaillons aussi, on dégustait les escargots en les faisant
jeûner !
|
Un
cinquième extrait
(pages 264-266) |
|
*
La
conférence internationale se tenait dans le palais des expositions.
Pierre Léstage et Claude Darnabi avaient pris le même
taxi pour s'y rendre. Elle devait débuter à quatorze
heures précises, après un fabuleux banquet. Toutes
les délégations étaient au grand complet, et
les journalistes aux petits oignons.
Pour tout l'or du monde, Florence n'aurait
raté cette opportunité
Elle s'était mise
sur son trente-et-un
Et elle avait même attaqué
dur, la veille au soir, au bar de l'hôtel où elle n'avait
pas arrêté de traquer le scoop
Elle avait même
réussi à soudoyer le barman et quelques chasseurs,
à seule fin d'aller au but sans perte de temps
Aussi
savait-elle déjà et d'un signe de connivence
ô combien discret des uns et des autres que cette personne
ou cette autre étaient bien ici pour la conférence
générale, et uniquement pour elle !
Et comme tout diplomate n'aimait guère
parler en dehors des comptes rendus officiels, Florence avait besoin
de toute sa séduction de femme pour les amener à la
dérive
Lorsqu'elle pressentait quelques intéressants
clients, le barman, sur un seul sourire de connivence, venait élégamment
leur proposer l'un de ses cocktails maison
plus exactement
ceux qui vous font chavirer doux et traîtres à
la fois. C'était même offert en guise de bienvenu !
En fait, c'était elle qui, par la suite, payait les additions
; mais elle avait toujours su aller de l'avant, sachant investir
en général, même dans les entreprises les plus
scabreuses ; et elle savait que cela finirait un jour par payer
!
Ainsi, telle une araignée guettant sa proie, elle
attendait l'instant décisif où elle allait fondre
sur d'innocentes victimes désormais prises au piège
et sans défense
Dès lors, Florence, en experte,
humectait de temps à autre ses lèvres dans un cocktail,
de jus de fruits bien évidemment !
En effet, la réussite
de l'entreprise dépendait de l'instant décisif où
elle se lèverait puis adresserait quelques mots courtois
aux personnes visées, tout en se présentant, et en
jouant intelligemment de ses atours de femme fatale. Ainsi obtiendrait-elle
sûrement le précieux renseignement qui donnerait toute
la portée à son reportage
Elle n'avait, du costume,
nullement négligé l'essentiel en pareille circonstance
: robe échancrée dans le dos, décolleté
torride mais néanmoins bon chic, et toute une panoplie assortie
au charme provocant que sa sensualité tout entière
dégageait.
Et
les cocktails commençaient à faire de l'effet. D'une
ouïe fine, elle s'en rendait compte, car les discours se révélaient
tout à coup plus empâtés. Alors, d'une démarche
de mannequin, sensuelle dans le geste, attirant sur sa personne
l'attention des consommateurs, elle s'adressa soudain à deux
messieurs d'âge convenable, au reste infiniment flattés
de cette visite impromptue, car ils sentaient déjà
tant de regards envieux
Aussi refuser une brève interview
aurait-il été déplacé
Ils s'empressèrent en revanche de
lui offrir un verre et, par la même occasion, en reprirent
un, lequel fut plus que bien dosé.
|
*
Une
légère brise secouait les arbres. En dépit
d'un flot de lumière l'aveuglant, Shirley entrouvrit les
yeux et ne vit que de la verdure autour d'elle. Ses jambes la démangeaient
; malgré une conscience restreinte, elle voulut se gratter
Mais ses mains, étrangement, avaient quelque difficulté
à suivre l'évolution de sa pensée
Soudain, un coup de feu claqua, dont
l'écho se répercuta au-dessus d'elle en un mouvement
si compliqué qu'elle en entendit encore quelques ricochets
plusieurs minutes après ; à moins qu'elle se fût
fabriquée ces derniers comme on fabrique son firmament d'étoiles
au bord du précipice de l'inconscience
Retentit une autre déflagration,
qui eut pour effet de sortir Shirley de son cocon
Tout ça
pour se voir en train de tirer sur ses avant-bras afin d'aller calmer
quelque démangeaison passagère de sa peau de satin ;
mais ses muscles et ses articulations ne répondaient guère
comme elle aurait aimé qu'ils le fissent
Aussi réalisa-t-elle
enfin le tragique de sa situation ; et elle eut pour la première
fois réellement peur !
Car elle ne supportait pas la hauteur,
elle avait toujours eu le vertige. Et elle avait été,
à la cime des arbres, ficelée, sans autre forme de
procès, sur une frêle civière qui se balançait,
presque dans les nuages, au gré du souffle des dieux.
Elle releva la tête, faisant atrocement
souffrir ses vertèbres cervicales, dans un seul et unique
but : essayer d'entrevoir enfin ce qui la grattait ainsi.
Et ce qu'elle vit la résigna dès
lors à peu d'espoir. Une cohorte d'insectes se baladaient,
insouciants, sur ses jambes nues, se faufilaient dans son short
ou encore passaient par-dessus, pour se diriger vers une substance
gluante dont on avait barbouillé son ventre plat et sa poitrine
offerte. Et cette procession sans fin lui provoquait tant de picotements
légers qu'elle ne savait même pas si ça la chatouillait
ou ça la gratouillait. En tout cas, ça la démangeait
assurément
aussi de savoir ce qui s'était passé
Un vol éthéré se fit
entendre au-dessus d'elle. Puis quelque chose s'abattit sur son
corps. Comme il lui fallait faire tant d'efforts pour distinguer
quel pouvait encore être l'intrus, elle déclara pour
le moment forfait. Toutefois, elle avait la sensation qu'une bestiole
ou quelque chose du même acabit parcourait son corps, déambulant
sans aucun doute, n'hésitant pas même à marcher
ou à trotter, là où il n'aurait pas fallu qu'il
cheminât ! Mais quel était encore ce visiteur ?!
Elle reprit son forcing pour tenter de surprendre ce qui ne pouvait
être encore qu'un coquin de plus !
Mais le soleil l'aveuglait
tant, qu'elle était malgré tout obligée de
fermer les yeux. Elle força de nouveau afin d'arc-bouter
son thorax pour, après maintes douleurs, apercevoir Océo
qui lui fit un clin d'il. Il picorait tant que faire se peut
les insectes arrivant de partout. Aussi, en le voyant attelé
à une telle tâche, Shirley sourit-elle malgré
tout, en dépit de sa position peu enviable ; et ce rictus,
un tantinet déformé, s'étala sur son visage
tout entier, car, de son corsage, on avait fait un bâillon
!
C'est dégueulasse
! dit Océo
aussi dégueu que des escargots que
l'on n'a pas fait dégorger !
Elle ne savait pas encore que chez les
plumaillons aussi, on dégustait les escargots en les faisant
jeûner !
|
Un
sixième extrait Dialogues
/ pages 27-30 |
|
Il
vint leur apporter de nouvelles chopes qu'il déposa sur le
plateau en marbre, accompagnées d'un ticket sur une soucoupe
de verre. Il leur dit à l'oreille :
J'ai mis
sous la note l'une des adresses. Vous rajouterez cinquante raisons,
n'est-ce pas ?
Vous verrez, vous ne serez pas déçus.
Puis il leur chuchota :
J'y vais
de temps en temps. Ma femme ne le sait pas
Et d'ajouter :
Un secret
en vaut un autre. Et vous, que venez-vous donc faire sur la Terre
de raison ?
On s'ennuyait,
dit l'un d'eux
Au fait, je me présente. Je m'appelle
Jean Duchemin. Je suis originaire de Paris
enfin je veux dire
que je viens de Paris.
Il allait présenter son compagnon
quand une cliente entra, vêtue d'une robe légère
en coton, sandales aux pieds. Des lunettes de soleil zébrées
de jaune et vert lui donnaient un air de starlette.
Elle portait des boucles d'oreilles assorties
au tissu de sa robe. Légèrement rouquine, cheveux
mi-longs, elle les avait coiffés en arrière.
Elle alla droit au bar, remarquant à
peine l'agitation sourde qui régnait dans la salle
trois hommes assoiffés de femmes.
Le patron s'empressa de rejoindre son zinc.
Il n'avait d'ailleurs pas encore eu le temps de lui demander ce
qu'elle désirait que la femme l'interrogeait :
Je suis journaliste
Pourriez-vous me dire où je puis trouver un hôtel
par ici ?
Tout dépend
quelle sorte d'hôtel vous cherchez, et à quel prix
?! Vous avez l'Hôtel des Ambassadeurs, pas très loin.
Il ne reçoit pas que des ambassadeurs, mais le prix à
la journée est digne d'une ambassade. Beaucoup de journalistes
y descendent. Ils sont dans leur monde.
Moi, ce que
je recherche, dit-elle en le coupant
c'est un véritable
garni, avec des chambres pas trop clean, où l'on peut croiser
les gens, vibrer sous leur regard, sentir leurs désirs, leurs
muscles, leur volonté d'être, où l'on peut voir
les vrais durs
les vrais de vrais !
Le patron la regarda avec méfiance.
Elle ressentit son hésitation et son étonnement.
Vous avez
l'air surpris ! Vous savez, j'ai l'habitude de faire du reportage.
Je suis vaccinée contre toutes les maladies. Et si l'occasion
se présente, je m'éclate aussi !
Vous me donnerez
un thé citron avec une guinness
Vous buvez
de la bière avec du thé ? osa-t-il demander.
Ça
vous dérange ?!
Non, pas
du tout. Je trouve le mélange
un peu
Un peu quoi
?
demanda-t-elle de nouveau.
Un peu surprenant.
Mais il en faut pour tous les goûts
n'est-ce pas ?
Juste un
peu gouleyant. Ça vous rafraîchit, ça vous titille
le palais, ça vous enrobe le gosier, ça vous embrume
les synapses !
Et ça
vous fait pisser !
J'allais
le dire, ajouta-t-elle
Chez vous, c'est où ?
Au premier
étage.
À
tout de suite. Vous rajouterez un cognac. Et une adresse d'hôtel,
peu importe. Je suis pressée par le temps, pour ce reportage
Elle
grimpa l'escalier jusqu'au palier. En passant, elle avait ôté
ses lunettes de soleil et toisé les deux gars qui avalaient
bières sur bières.
L'un deux l'avait suivie des yeux jusqu'à
ce qu'elle disparaisse. Il ne put s'empêcher de commenter
Elle devait avoir un sacré caractère ?! Et quel chien
! Il se demandait même s'il ne serait pas bon de l'aborder,
en passant par quelques banalités d'usage
Mais la fille
redescendait déjà, et ce fut elle qui vint les aborder
:
Je m'appelle
Florence
Vous êtes tous les deux seuls à ce que
je vois ! Que diriez-vous de prendre un verre avec moi ?! Que voulez-vous
boire ?
Ils regardaient vaguement leurs chopes en
grès toujours pleines mais, surpris de la proposition, s'entendirent
bafouiller :
La même
chose, si vous voulez
Oh ! juste pour vous faire plaisir !
Nous devons bientôt partir
Barman !
dit-elle, une fois qu'elle eut regagné le bar
Mettez-leur
une bonne pinte ! Ils sont timides !
jetant les yeux
vers eux tout en vidant le cognac dans sa bière
Vous
devriez faire comme moi. Ça a plus de goût, et ça
vous donne des ailes !
Elle
prit son verre et sa tasse, et alla se joindre aux deux hommes qui
n'en revenaient pas. Ils étaient d'ordinaire habitués
à faire les premiers pas et, là, se sentaient soudain
tout intimidés. Elle fut la première à rompre
le silence qui s'était installé :
Alors, qu'êtes-vous
venus faire dans ce pays ? questionnait-elle, intriguée.
Jean Duchemin fut le premier à lui
répondre, se demandant toutefois ce qu'elle cherchait. Car,
par instinct, il s'était toujours méfié des
journalistes des fouille-merde comme il les appelait
tout juste bons à raconter des saloperies qui n'intéressaient
personne, ou à masquer la vérité quand elle
devait être criée. Bref, il ne les aimait guère
des pronostiqueurs aux spécialistes de la politique qui ne
savent même plus où ils en sont, tant ils se sont trompés
sur tel ou tel
Et cette oiselle-là qui se donnait des
airs de vivandière, devait être de bien mauvais augure
Il s'entendit cependant lui dire, par politesse :
Parce que
j'm'emmerde, voyez-vous ! Plus rien de vrai, maintenant
alors,
je m'emmerde
un point c'est tout. Alors, dans ce bled, j'espère
ne pas m'emmerder ! Et peut-être qu'ici les gens ont plus
d'honneur !
|
Un
septième extrait Dialogues
/ pages 267-269 |
|
La Terre de raison est-elle aujourd'hui une nécessité
d'État ?
D'État,
pas exactement
répondit l'un deux, d'une bouche empâtée
sous l'emprise de l'alcool, avec quelque difficulté d'élocution,
mais toujours, profession oblige, la même assurance et la
même perfection dans la précision de la réponse
Et il reprit :
Mais nécessité
d'individus, oui
on peut le dire
Il est des êtres
qui ont besoin de ça, afin de se défouler. Pour sortir
du ronron tristounet d'une vie sans gloire. Il y a trop de difficultés
aujourd'hui et trop de chutes de valeurs pour que les gens ne se
recréent pas leurs propres valeurs, d'une ou d'autre manière.
Mais est-ce
réellement la bonne façon ?
questionna-t-elle
encore
Le pensez-vous réellement ?
On n'est
pas là pour croire ou ne pas croire, mais pour organiser
ce que souhaite le peuple. Et ils sont un certain nombre à
s'éclater en ces lieux. Et croyez-nous, ça arrange
tout le monde !
Ce n'est
pas très moral la raison de cette Terre de raison !
Non
mais les gens peuvent se battre ici, sans nuire ni aux uns, ni aux
autres, ni aux institutions, ni à la destinée de l'homme
dans son épanouissement. Et cela libère encore les
tribunaux lors de cas extrêmes
Qu'entendez-vous
par cas extrêmes ?
À
chaque fois que condamner ou non quelqu'un pose un problème
de conscience. Aujourd'hui, rien n'est plus simple qu'un juste verdict,
à savoir la Terre de raison
enfin, globalement parlant,
cela va sans dire
Car, ici, tout individu peut, s'il le désire
bien évidemment, commencer sa marche vers la liberté.
C'est d'ailleurs dans le fondement même des institutions de
la Terre de raison.
Oui, mais
bien peu peuvent le faire, en fait, rétorqua Florence
C'est une utopie, à ce que l'on entend dire.
Les statistiques
prouvent ma foi le contraire !
Chaque jour des passeports
de "Liberté raisonnée" sont remis à
Safety City.
Le pourcentage
est infime, n'est-ce pas ?
Infime, certes
Mais les gens ne viennent pas ici pour gagner Safety City. Ils viennent
là pour " foutre le bordel ! "
Ce dernier mot avait quelque peu dépassé
sa pensée, car il ne tenait plus du propos diplomatique
Il avait été éjecté sous l'influence
de cocktails dynamitants.
L'homme s'était néanmoins
tout de suite repris :
Je vous prie
de bien vouloir excuser ce mot. J'entendais évidemment par
là, que les gens signaient pour se défouler ici. Le
monde de la tolérance ne les intéresse pas. Et, voyez-vous,
depuis que la Terre de raison a été instaurée,
la violence dans certaines villes a même diminué, car
on l'a exportée en ces lieux reculés. Et tout le monde
s'en trouve ravi : aussi bien ceux qui peuvent exprimer en toute
impunité leurs pulsions, que les villes qui se sont ainsi
débarrassées d'une gangrène qui les rongeait
peu à peu.
|
Un
huitième extrait Dialogues
pages 353-355 |
|
|
Je
me souvenais en fait assez bien du rêve singulier que je venais
de faire. J'étais dans un pays comment j'y étais
arrivé, je ne savais au juste où j'avais rencontré
de drôles de gens comme on en rencontre souvent
Il me
semblait qu'il y avait eu quelques blessés, et surtout beaucoup
de morts dans d'extravagantes histoires
J'avoue ne pas avoir
tout compris, et le rêve, si l'on ne m'avait par mégarde
réveillé et s'il avait pu se prolonger, me l'aurait
sans nul doute appris
Mais
ce songe avait été si troublant que j'essayais à
présent d'en compléter le puzzle. Car je voulais assurément
m'en souvenir
et savoir
Mais,
heureusement, c'était le genre de rêves qui ne se réalisent
jamais
Salut mon pote ! entendis-je.
Je
me retournai. Comme les policiers venaient de s'éclipser,
qui donc dans cette ville où je ne connaissais absolument
personne, pouvait me lancer un tel bonjour ?
Comme je cherchai aux alentours l'origine
de ce salut familier, la même voix avait repris
Je pivotai
donc légèrement
Sur le dossier du banc, était
perché un oiseau. Mais une singulière lueur d'intelligence
illuminait les prunelles de ses yeux. Du reste, il me semblait avoir
déjà vu cet étonnant volatile quelque part,
mais je ne savais où
sans doute lors d'un documentaire
télévisé sur la vie des animaux où parfois
vous frappaient des images qui restaient à jamais gravées
dans votre subconscient.
Pas très
poli, le gars ! entendis-je de nouveau
On le salue
et
monsieur fait le fier, monsieur fait la gueule ou monsieur ne comprend
peut-être pas le sapiens
ou monsieur préfère
que je lui foute ma patte sur la gueule
ou que je l'envoie
changer d'air dans la Terre de raison !
Au mot "patte", je compris soudain
que j'avais affaire à un babillard oiseau quelque peu ironique,
car un éduqué quidam aurait plutôt dit : main
sur la gueule que patte sur la gueule ; ce n'était après
tout qu'une question de vocabulaire choisi
Mais il m'avait aussi parlé de Terre
de raison, et cette fois j'avais bien ouï
J'allais enfin
pouvoir connaître la suite de mon rêve, car j'étais
certain que ce curieux volatile me la raconterait
Il s'envola et alla se percher sur l'épaule
d'une jeune femme très stylée qui approchait du banc
où je me trouvai. Et je l'entendis aussitôt parler
au volatile :
J'espère
que tu n'as pas dérangé ce monsieur, Océo
De loin, je t'ai vu lui causer
As-tu au moins été
poli ?
Aussi poli
que le monde civilisé l'exige, Shirley
Ils sont aimables
je suis aimable
Ils sont bougons, je suis bougon
Que
veux-tu, un sapiens restera toujours un sapiens
Personne
n'est parfait, Océo, tu le sais bien.
Oui, mais
ils pourraient quand même faire des efforts, tous ces sapiens
dans peu de temps, on se croira revenu sur la Terre de raison.
Intrigué par cet ahurissant discours, je m'adressai à
cette jeune femme à présent tout près de moi :
Il est donc
à vous, ce spécimen ?
De quelle espèce
s'agit-il ?
J'appartiens
à personne, moi, monsieur !
protesta l'oiseau, étonnamment
vexé
Je suis libre comme l'air ! Je partage seulement
un appartement avec des amis
C'est étrange,
dis-je encore à la femme
J'ai rêvé une
drôle d'histoire tout à l'heure, où parlait
aussi un oiseau. Comme le monde est petit !
Mais nous
sommes-nous jamais rencontrés, enchaîna-t-elle à
ce moment
J'ai l'impression que votre visage m'est familier,
mais je ne saurais dire où je vous ai rencontré
Une sorte de subliminale image que j'aurais gardée au moment
où l'on a bafoué ma liberté.
Je n'ai pas
quitté ce banc, répondis-je
et je ne suis que
de passage ici.
C'est ça
de passage
je comprends
reprit-elle. Il me semblait
bien vous avoir vu
Ici même sur ce banc
Le seul
regard de compassion
c'est cela.
Je te présente
un ami potentiel, Océo, annonça-t-elle
Dites,
voulez-vous vous joindre à nous ce soir ? Je reçois
quelques amis qui, de plus, viennent de tous les coins du monde
Ah, si j'avais
le temps !
mais un avion m'attend
Un petit
effort
J'ai loué un endroit extraordinaire, et fait
venir un traiteur.
Cela demande
réflexion, alors
Moi, j'ai
déjà deviné ton endroit, Shirley, dit soudain
Océo.
Impossible
!
répliqua-t-elle
Tu ne peux pas deviner
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